Lecture inspirante
Que ce soit dans les démarches de concertation entre acteurs d’un territoire ou dans les dynamiques collectives (équipes, collectifs citoyens, entreprise, conseil municipal, famille…), les participant.e.s et la personne facilitatrice (s’il y en a une) doivent traiter des désaccords.
Dans son livre, Le pouvoir de la rhétorique, Clément VIKTOROVITCH éclaire la question du désaccord en partant du constat que les argumentations les plus rigoureuses ne suffisent pas à construire le consensus.
Les discussions sur une décision à prendre aboutissent rarement simplement grâce à une démonstration logique de la meilleure solution. Ce serait trop simple ! Deux positions incompatibles peuvent exister en toute bonne foi et en reposant sur des arguments rationnels et un raisonnement étayé.
Pour expliquer cela, VIKTOROVITCH identifie deux raisons :
- Chacun.e de nous hiérarchise différemment les valeurs qui sous-tendent les arguments utilisés.
- Chacun.e de nous perçoit différemment les risques liés à chaque option.
La hiérarchie personnelle des valeurs
Derrière le terme « valeur », tel qu’utilisé dans ce contexte, je vois aussi la notion de « besoin ». Nous partageons globalement un même ensemble de valeurs/besoins mais nous n’accordons pas toujours la même importance à chacune. Cela va nous conduire à accorder plus ou moins de poids à des arguments qui s’appuient sur différentes valeurs (ou besoins). Par exemple, deux personnes peuvent être en désaccord sur la façon de partager la ressource en eau. L’une mettant la production alimentaire en tête de ses valeurs, l’autre la préservation du fonctionnement naturel du cours d’eau. Aucun des deux ne nie que les deux choses sont importantes dans l’absolu, mais l’une et l’autre ressentent et expriment une hiérarchie d’importance différente.
Je fais le lien entre ce constat et les pratiques de facilitation.
La prise en compte de cette source de désaccord est centrale dans les méthodes de dialogue territorial et dans la Communication Non-Violente.
La recherche d’un accord à partir des positions des personnes (« Il faut permettre l’irrigation des cultures sans limite ! » vs « Non, il faut interdire l’irrigation pour préserver la rivière ») n’est pas possible. L’enjeu du dialogue constructif est que chacune puisse exprimer, être entendu et entendre les besoins qui sous-tendent sa position et celle de l’autre. Pas pour trancher sur la légitimité de la hiérarchie des valeurs, mais au contraire pour arriver à une reconnaissance mutuelle de l’importance relative que chacun accorde à ses différents besoins. Le point de bascule recherché est « je reconnais que pour toi ce besoin est le plus important et je ne cherche pas à te convaincre d’autre chose ».
Cela permet ensuite d’entrer dans la recherche de solutions équilibrées qui répondent au mieux aux besoins/valeurs de chacun et chacune.
La perception et l’acceptabilité des risques
Le désaccord peut reposer sur la différence de perception des risques générés par les différentes options possibles. La quantification objective de la probabilité que le risque se produise est souvent difficile. Les débats tournent alors autour d’évaluations totalement subjectives et variables selon les personnes.
Même si le risque peut être quantifié, la perception et l’acceptabilité sont très personnelles. Est-il acceptable de prendre tel risque plutôt que tel autre ? En fonction de mon vécu, de mes expériences, de mes peurs, de mes valeurs,… je vais me construire une représentation des risques encourus et arbitrer entre ceux que je décide d’accepter et ceux que je décide de refuser.
Dans la pratique de la facilitation, il me paraît important d’inviter les protagonistes à formuler les risques qu’ils perçoivent, à les expliciter, car je constate parfois que les positions les plus fermes reposent sur une perception non-dite de risques. « Quels seraient les risques de choisir telle option ? » C’est une question que je pose, que j’entends utilisée par mes collègues, et qui est souvent très utile pour faire avancer la compréhension mutuelle. Cela permet soit d’objectiver et de partager un risque réel (et c’est salutaire pour le groupe…), soit de prendre conscience que le blocage repose sur des peurs qui ne sont pas liées directement au projet (et cela peut permettre à la personne de faire la part des choses…).
Une affaire d’humanité
En résumé, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision dans l’absolu, qui pourrait être prise par un algorythme. La vie en société est une affaire de rencontre entre des personnes animées par des valeurs et des peurs. Des êtres humains, en somme.